Le programme du RN pour les élections européennes prévoit de réaffirmer la supériorité de la Constitution sur les règles et les juridictions de l’Europe. Est-ce possible ? Les Surligneurs vous répondent. Celle semaine, les spécialistes du légal checking se penchent aussi sur l’affaire du foulard dans le Geox de Strasbourg, les dispositions relatives aux enfants dans le Pacte migratoire ou encore la possibilité ou non de réserver les allocations familiales aux familles françaises.
Programme RN pour les européennes : réaffirmer la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes
En vue des élections européennes, la liste du RN conduite par Jordan Bardella a dévoilé sa profession de foi. Il propose de faire primer la Constitution française sur les normes européennes. Ce n’est pas impossible, mais il faut être clair sur les implications.
L’article 55 de la Constitution consacre les traités internationaux auxquels la France est partie comme ayant « une autorité supérieure à celle des lois ». Mais il ne dit pas si les traités sont supérieurs à la Constitution. En revanche, l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international ». Ce préambule, qui a la même valeur que la Constitution, subordonne également la Constitution aux traités européens et internationaux que la France a ratifiés.
Il faudra donc modifier le préambule de 1946 et préciser l’article 55, et nos juges nationaux seront tenus d’appliquer la Constitution en écartant les traités internationaux. Mais cela ne sera pas sans conséquences. À noter que nos juges font déjà primer la Constitution sur les traités (CE Sarran, 1998 et Cass. Fraisse, 2000), mais d’une manière détournée, en tentant de concilier la Constitution et le droit européen et en faisant primer la Constitution faute de conciliation possible. Cela ne semble pas suffisant pour Jordan Bardella.
Or, l’adhésion à l’Union s’accompagne de l’obligation d’appliquer ses règles dites “supranationales”, car elles ont précisément vocation à prévaloir sur le droit national. C’est le principe même des traités qui ont créé l’Union européenne, lesquels ne sont jamais qu’un contrat entre États. Or, un contrat se respecte.
Les traités régissant l’Union européenne mettent en place ce qu’on appelle un ordre juridique autonome : des “lois” européennes et les traités eux-mêmes, tous ces textes primant sur la loi nationale. Rester au sein de l’Union européenne sans faire primer les textes européens qui en découlent est incompatible en l’état du droit européen. De plus, cela ferait encourir de fortes amendes ou des astreintes journalières à la France, pour manquement à ses obligations européennes.
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Affaire du voile d’une vendeuse dans un magasin Geox : selon Révolution permanente, « Il y a une meuf qui est victime d’une situation ouvertement islamophobe et discriminatoire »
Alors qu’une salariée intérimaire allait commencer une mission de vendeuse dans un magasin Geox, le gérant lui demande d’enlever son voile et lui interdit d’entrer en fonction tant qu’elle continuera à le porter. Révolution permanente considère qu’il s’agit d’une « meuf qui est victime d’une situation ouvertement islamophobe et discriminatoire ». Que dit le droit concernant le port de signes religieux dans les entreprises privées ?
Le code du travail prévoit que « le règlement intérieur d’une entreprise peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché » (art. L1321-2-1 du code du travail). Mais à quelles conditions ?
Si l’employeur est le rédacteur du règlement intérieur (RI), il doit consulter obligatoirement le comité social économique (CSE) de l’entreprise (art. L1321-4), mais celui-ci n’émet qu’un avis. Le RI est ensuite transmis à l’inspection du travail avec l’avis du CSE : l’inspection peut contrôler le RI et exiger le retrait ou la modification des dispositions qu’il juge contraires au Code du travail (art. L1322-1). Il en va de même pour le juge (conseil de prud’hommes).
Classiquement, le RI ne doit pas contenir de clauses contraires aux lois, aux règlements etc. Ainsi, un RI ne peut contenir de restrictions aux libertés individuelles ou collectives qui ne seraient pas justifiées ou proportionnées au but recherché, et encore moins de clause discriminatoire liée par exemple à l’appartenance religieuse du salarié (art. L 1321-3).
La clause de neutralité ne se limite pas à la religion : elle vise la posture publique que souhaite afficher l’entreprise par rapport aux questions politiques, philosophiques ou morales. Cette neutralité affichée doit avoir une portée générale et s’appliquer de manière indifférenciée à tous les travailleurs de l’entreprise, sans quoi elle constitue une discrimination prohibée.
Le RI ne peut interdire les signes ostentatoires ou de grande taille tout en autorisant les signes plus petits, car c’est une « discrimination directe » (CEDH 15 juillet 2021). Toutefois, une clause interdisant les signes visibles est licite si elle ne concerne que les salariés en contact avec la clientèle, auprès de laquelle l’entreprise veut garantir sa neutralité (Cass. 22 nov. 2017 et CJUE 14 mars 2017). Or le foulard, en tant que signe d’appartenance religieuse, est évidemment visible, et l’entreprise est donc bien dans son droit. Le RI s’impose aussi aux travailleurs “extérieurs”, comme un intérimaire, à condition, que l’employeur en ait assuré la publicité, par tout moyen (art. R 1321-1 et CE 4 mai 1988). Dans l’affaire Geox, cela reste bien entendu à vérifier.
Interrogée la marque confirme que « oui, le règlement intérieur de la boutique strasbourgeoise, comme toutes les boutiques Geox gérées en propre en France, intègre cette clause de neutralité ». Il n’y aurait donc pas discrimination.
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Marie Toussaint (Écologistes) : « Le pacte migratoire va permettre de détenir des enfants dans des centres (et de) prendre leurs empreintes digitales »
Le 10 avril 2024, lors du débat pour les élections européennes 2024, Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, affirmait que « le pacte migratoire va permettre de détenir des enfants dans des centres, prendre leurs empreintes digitales ». C’est vrai pour l’essentiel, mais sous certaines conditions.
Marie Toussaint fonde ses propos sur la réforme du Pacte asile et immigration visant une refonte majeure de la politique migratoire européenne, qui inclut un règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration au sein de l’Union, adopté par le Parlement européen le 10 avril 2024.
Le pacte a pour objectif de mieux gérer les flux migratoires aux frontières de l’Union. Il prévoit un système de filtrage préalable et obligatoire avant l’entrée d’un migrant au sein de l’Union. Dans les trois à sept jours suivant l’entrée d’un migrant sur le territoire d’un pays membre, celui-ci doit être dirigé vers des centres d’accueil où il subira un contrôle de santé et de sécurité, ainsi qu’un relevé des empreintes digitales. Cette procédure permet de vérifier si le requérant doit être soumis à une procédure de retour, ou s’il est recevable à déposer une demande d’asile.
Pour diminuer la durée globale de la procédure dans certains cas, le pacte envisage la mise en place d’une procédure accélérée pour examiner les demandes d’asile. Cette dernière s’applique aux enfants, mais uniquement lorsqu’ils viennent d’un pays sûr, ou lorsqu’ils cherchent à retarder leur éloignement, ou encore s’il existe des inquiétudes sérieuses pour la sécurité nationale ou l’ordre public. Ainsi, le pacte migratoire va en effet permettre de détenir des enfants dans des centres, mais seulement s’ils sont demandeurs d’asile et dans les cas énumérés.
La base de données Eurodac contient les empreintes digitales des demandeurs d’asile et des migrants en situation irrégulière enregistrés dans les États membres de l’Union et les pays associés. Cette base facilite la mise en œuvre du règlement de Dublin II en permettant de vérifier d’abord si un demandeur d’asile ou une personne en séjour irrégulier dans un État membre a déjà demandé l’asile dans un autre État membre, et ensuite si un demandeur a déjà été appréhendé lors de son entrée irrégulière sur le territoire européen.
Le pacte asile et immigration propose une nouvelle version de la base de données qui aurait désormais pour fonction de recueillir non seulement des empreintes digitales, mais également certaines données biométriques, notamment pour les personnes âgées de six ans au moins, et non plus quatorze ans comme avant. Cette initiative vise à lutter contre les trafics d’enfants et à faciliter les retrouvailles de familles séparées sur les routes migratoires. Il ne s’agit pas de traiter ces enfants en délinquants, mais de les protéger contre les réseaux d’exploitation et de traite d’êtres humains.
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Jordan Bardella : « Je souhaite […] réserver les allocations familiales aux familles françaises »
Jordan Bardella, président du RN national et tête de liste du même parti pour les élections européennes, veut réserver les allocations familiales aux Français. Une proposition qui risque d’être déclarée inconstitutionnelle si elle devait être mise en œuvre telle quelle.
La proposition de supprimer les allocations familiales pour les étrangers pose problème s’agissant des allocations dites « contributives » (dont les allocations familiales), c’est-à-dire versées en contrepartie d’une cotisation payée par le bénéficiaire. Réserver ces allocations aux Français implique que les personnes étrangères, qui versent des cotisations, financeraient un système dont elles ne bénéficieraient pas.
En revanche, les allocations non contributives relèvent d’un mécanisme de solidarité et pas d’assurance sociale. Elles ne sont pas conditionnées à une cotisation préalable du bénéficiaire. On peut donc imaginer que les étrangers ne soient pas traités de la même manière à l’égard de ces allocations, mais le Conseil constitutionnel veille à ce que les étrangers ne soient pas écartés au seul motif qu’ils sont étrangers, car cela méconnaîtrait le principe d’égalité. Il faut une raison objective pour justifier la différence de traitement entre bénéficiaires français et étrangers, qui ne reposerait pas sur la seule nationalité.
Selon l’article L111-1 du code de la sécurité sociale, “la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale” qui s’applique à tous. Cette garantie accordée par la loi s’exerce par l’affiliation de chaque personne à un ou plusieurs régimes de protection sociale obligatoire. Cette solidarité n’est donc pas “nationale” au sens de “réservée aux nationaux”, mais une solidarité de la Nation à l’égard de toute personne résidant en France face aux risques sociaux.
Or, cette protection est garantie par la Constitution : le Préambule de la Constitution de 1946, prévoit que “tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence”, sans aucun critère de nationalité. Ainsi, si certaines restrictions ont pu être admises, comme des conditions de résidence en France pendant une certaine durée, la suppression totale des allocations familiales sur le seul fondement de la nationalité serait contraire à la Constitution, sauf à modifier cette dernière.
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